Roger Bissière, Le songe de la terre à la galerie Ceysson & Bénétière du 3 septembre au 8 octobre 2022

Composition gris et bleu, 1964, huile sur toile, 51X66 cm.
Composition gris et bleu, 1964, huile sur toile, 51X66 cm.

« Ma jeunesse a commencé à soixante ans ». Il faut prendre au sérieux cette déclaration de Roger Bissière, né en 1886. De fait, pendant la guerre, l’homme cesse de peindre, s’installe dans son pays natal – le Lot –  et se lance dans l’agriculture. Pour autant, quand vers 1945 Bissière reprend son activité artistique, plus que d’un retour à la peinture, c’est d’un retour sur la peinture qu’il faut parler. A priori, un monde sépare sa production d’avant-guerre de celle que l’on voit exposée ici. Mais quel est le trajet de Bissière ? Formé aux Beaux-Arts de Bordeaux et de Paris, le peintre « monte » à Paris en 1911 et, par nécessité, il pratique le journalisme et la critique d’art à L’Esprit Nouveau, la revue d’Ozenfant et de Jeanneret.

Ses œuvres, figuratives, essentiellement des figures féminines, prennent des accents post-cubistes à la faveur de son amitié avec Braque (Femme au filet, toute en plans et facettes, 1936). Devenu professeur à l’Académie Ranson (1925-1938), il exerce une forte influence sur de jeunes peintres dont certains participeront par la suite à ce groupe informel baptisé la Nouvelle École de Paris – Alfred Manessier, Vieira da Silva.

Curieusement, c’est avec une série de Crucifixions, (1937) – dessinées, peintes et même réalisées sous une forme d’assemblage – que la pratique de Bissière se transforme. Si le sujet reste encore parfaitement reconnaissable, le traitement stylisé réduit les personnages à quelques lignes de force, qui tracent les contours des corps. Est-ce un simple hasard si l’une de ses œuvres fortes – une tapisserie ultérieure de quelques années (1945-1946) en rapport avec un autre symbole tragique, celui d’Hiroshima – relève du même style (Hiroshima, l’ange de l’Apocalypse).

Quoi qu’il en soit, c’est à ce moment que Bissière réalise des tentures avec des morceaux de tissus, chiffons, rideaux ou vieux vêtements, comme s’il lui fallait un détour pour reconstituer de toutes pièces un nouveau geste artistique. L’ensemble sera présenté, avec des peintures à l’huile, à la galerie Drouin (décembre 1947). Viennent ensuite des peintures à l’œuf, aux tonalités mates – brun, ocre orange – sur des supports divers, parfois recouverts d’un papier encollé qui seront présentés à la Galerie Jeanne Bucher en 1952.

Le choix de la galerie Ceysson & Bénétière d’exposer la partie de l’œuvre exécutée à partir de 1945 s’explique par son caractère particulier, magnifiquement défini par Pierre Decargues qui parle d’un artiste « frontalier » (« Premier bilan de l’art actuel » 1953). C’est que lentement, Bissière s’écarte de la représentation, au sens commun du mot. Non pas que la réalité disparaisse entièrement, au moins si l’on se fie à certains titres ici – Le Chat, la maison, 1951, Oiseau, 1953. Pourtant, cet univers, sans être abstrait, se dérobe à la figuration. Pour l’artiste, suggestion, ellipse ou sous-entendu valent mieux que toute tentative de description littérale à prétention réaliste, qui encombre le regard et contraint l’imaginaire.

Les images qui se situent vers la fin des années quarante et au début des années cinquante ne sont pas indifférentes au primitivisme inspiré par l’art africain ou océanien – les deux Totems (1950) ou le masque de 1948 en témoignent. Cependant, on est loin avec Bissière de la fascination qu’avaient les avant-gardes du début du siècle. Ses figures, stylisées et simplifiées, entourées de plusieurs « cadres », sont comme des passe-murailles dans un univers à deux dimensions. Çà et là on devine un personnage – un orante ? – placé dans un échafaudage plus ou moins serré (Composition 18, 1949). On songe au peintre uruguayen Torres-Garcia, qui insère souvent des symboles précolombiens dans des structures d’une géométrie souple, des grilles ou des puzzles énigmatiques.

Puis, arrivent d’autres petits panneaux, où les formes sont dilatées par la couleur, trouées par la lumière ou encore sillonnées par des tracés.  Ces images s’inspirent-elles de la nature ?  Les subtiles variations de la lumière seront-elles ainsi des évocations du rythme des saisons ? Bissière fait-il partie de ceux qui pratiquent un « paysagisme abstrait » ?

Le paysage, et c’est là sa spécificité, se compose d’une quantité infinie de tonalités, d’où l’absence de délimitation bien distincte entre ses éléments. Les formes s’estompent, fusionnent et l’effacement de la ligne facilite l’émergence de la couleur. Sans prétendre que le paysage, ce lieu de fragilité mimétique, serait voué à l’abstraction, la souplesse qui le caractérise fait de lui un sujet particulièrement propice à l’émancipation par rapport aux codes traditionnels de la représentation.  Mais écoutons l’artiste : « je recrée ou plus exactement hélas, j’essaye de recréer un monde à moi, fait de mes émotions, où demeurent l’odeur des forêts qui m’entourent, la couleur du ciel, la lumière du soleil, et aussi l’amour que j’ai de tout ce qui vit » (1960).

Parmi les images présentées ici, certaines, à la croisée de l’imaginaire et du réel, baptisées de façon poétique, suggèrent en effet des paysages enchantés (Équinoxe d’hiver 1957 ou Végétation nocturne, 1961). D’autres, même si elles refusent au regard la reconnaissance d’un motif précis, semblent encore associées au règne végétal (Composition verte, 1964). Les formes semblent dirigées par deux mouvements contradictoires : l’un qui agrège, unit, rapproche et relie ; l’autre qui dissocie, défait, disperse et sépare. Le plus souvent, toutefois, réalisées vers la fin de la vie de Bissière, aux marges de l’abstraction, ces œuvres sont des récits filtrés par la mémoire, des expressions condensées de sensations fugitives, ouvertes aux rêveries. Enfin, deux travaux de 1964 tranchent avec le reste. Composées uniquement de pictogrammes ou de hiéroglyphes, ils résistent à la compréhension. Ici, l’écriture et l’image se confondent. L’artiste leur donne un titre significatif, Journal. Ces abréviations graphiques, simples ou complexes, qui prolifèrent et qui courent sur les surfaces, forment une pseudo-écriture difficilement lisible. Autrement dit, des pictogrammes inventés pour une langue secrète au service d’un artiste singulier.

Itzhak Goldberg

Contacts et informations pratiques
Adresse
Ceysson & Bénétière
23, rue du Renard
75004 Paris
+33 1 42 77 08 22
Directeur
Loïc Garrier
loicgarrier@ceysson.com
+33 6 13 52 32 79

Bissière, La part de l’Autre à la Fondation Arpad Szenes-Vieira da Silva, Lisbonne jusqu’au 11 septembre 2022

 Journal 9, 1964, huile sur panneau d’aggloméré, 29 x 44,7 cm, collection privée.
Journal 9, 1964, huile sur panneau
d’aggloméré, 29 x 44,7 cm, collection privée.

 

La Fondation Arpad Szenes-Vieira da Silva accueille le travail d’un ami du couple,
l’artiste français Roger Bissière (1886-1964). Celui-ci les rencontre en 1932 alors
qu’ils se sont inscrits dans l’atelier de fresque qu’il vient de créer à l’Académie
Ranson à Paris. Pédagogue dévoué, il devient rapidement un ami de Vieira da
Silva et d’Arpad Szenes avec lesquels il partage une connivence artistique et
amicale mais aussi le soutien d’une même galerie, celle de Jeanne Bucher à Paris.
Au cours des décennies 50 et 60, Bissière s’impose comme l’un des peintres les
plus importants de la Seconde École de Paris. Un ensemble restreint mais
significatif de son travail, de nature intime, peut être visité à la Fondation
jusqu’au 11 septembre 2022.

Entre 1962 et 1964, au cours des deux dernières années de sa vie, l’artiste français
Roger Bissière (né en 1886) peint son « Journal en images » composé de plus de
152 petits tableaux datés du jour de leur réalisation qu’il dédie à sa femme.
Surnommée Mousse, elle a d’abord été son modèle puis le sujet de sa peinture
enfin, au milieu des années quarante, elle participe à la fabrique en cousant et
brodant ses tentures faites de tissus appliqués. Quand elle meurt brutalement le
13 octobre 1962, elle devient l’objet et la raison d’être de cette série.
Cette disparition laisse dévasté Roger Bissière qui va pourtant reprendre le chemin
de l’atelier. « Comme un pommier fait des pommes », le peintre saisit ses
pinceaux et quelques feutres, installe une planchette de bois sur ses genoux et
livre en image le quotidien qui l’entoure. Au cours de 780 journées, il peint ces
petits formats datés au jour le jour. Il ne décrit pas le monde, il cherche à recréer
la fraîcheur des bois, l’incandescence du feu, la légèreté d’une journée de
printemps, la chaleur de l’été à midi dans le Lot ou l’obscurité de la nuit.
Plongé dans cette nature et ce pays qu’il adore, c’est une vie simple qu’il peint,
une projection de lui-même en quête d’une communion spirituelle avec celui qui
regarde. Il peint « pour être moins seul en ce monde misérable » et tendre la
main par-delà l’espace et le temps aux autres hommes.
L’exposition présente une sélection d’oeuvres pour une bonne part inédites de 47
de ces tableaux.

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EXPOSITION COLLECTIVE « ENTRE DEUX HORIZONS » CENTRE POMPIDOU METZ

L'oiseau, 1951, courtesy Galerie Jeanne-Bucher, ph. JL Losi
L’oiseau, 1951, courtesy Galerie Jeanne-Bucher, ph. JL Losi

Entre deux horizons. Avant-gardes allemandes et françaises du Saarlandmuseum

29 juin 2016 – 16 janvier 2017

Faisant la part belle aux échanges transfrontaliers, l’exposition propose un parcours où dialoguent, depuis l’impressionnisme, les scènes allemande et française. La réception artistique mutuelle témoigne ainsi, dans le sillon des préoccupations politico-diplomatique changeantes du XXe siècle, tout autant des influences croisées et de la fascination pour le voisin, que des interrogations et des inquiétudes face à lui. D’Auguste Renoir à Max Liebermann, d’André Derain à Ernst Ludwig Kirchner, en passant par Max Ernst, Aurélie Nemours et Hans Hartung, l’exposition raconte plus de cent ans d’une histoire partagée qui se poursuit au présent.

Exposition organisée par le Centre Pompidou-Metz et le Saarlandmuseum, Sarrebruck.

Paroles d’artiste : « Bissière »

Paroles d'artiste : Bissière
Paroles d’artiste : Bissière

Cette série d’ouvrages monographiques permet d’envisager l’univers d’un artiste à travers une sélection de trente reproductions représentatives de l’ensemble de son œuvre. Chaque reproduction est associée à une citation extraite d’un entretien, d’une correspondance ou d’un écrit de l’artiste lui-même.
Afin de rendre accessible cette collection aux très nombreux visiteurs étrangers de nos musées et collections publiques françaises, Paroles d’artiste est bilingue anglais-français.
En 64 pages, quelque 30 reproductions et pour seulement 6,50 euros, le lecteur se retrouve immergé dans l’esprit et l’œuvre de l’artiste.